Externalisation : quelles sont les précautions contractuelles
?
(Interview de Frédéric Mascré, Avocat à la Cour,
Cabinet Mascré Heguy Associés)
Q : L'externalisation est-il un phénomène nouveau ?
Frédéric Mascré : Le concept d'externalisation est loin d'être nouveau. En matière informatique par exemple, les entreprises, dès les années 70, avaient recours au service bureau qui leur permettait de confier la réalisation de certains traitements informatiques à un prestataire spécialisé. Toutefois, l'externalisation des services connaît depuis une vingtaine d'années un essor considérable. Motivée par des impératifs économiques ou encore stratégiques, l'externalisation porte désormais sur des activités critiques pour la bonne marche des entreprises telles que l'informatique, les télécommunications ou encore la logistique. L'externalisation peut s'avérer très bénéfique pour les entreprises en leur permettant notamment de se recentrer sur leur "cœur de métier".
Q: En quoi consiste précisément une opération d'externalisation ?
R : L'externalisation consiste à confier la totalité d'une fonction ou d'un service à un prestataire externe spécialisé pour une durée pluriannuelle. Celui-ci fournit alors la prestation en conformité avec les niveaux de services, de performance et de responsabilité spécifiés. A la différence des différentes pratiques existant jusqu'à lors, l'externalisation est un service complet accompagné d'un engagement en termes de niveau de services particulièrement élaboré.
Q : Une opération d'externalisation présente-t-elle des risques ?
R : Une telle opération comporte des risques auxquels les entreprises ne sont pas suffisamment sensibilisées. En effet, l'externalisation peut avoir pour conséquences de créer une dépendance du client vis-à-vis du prestataire ou encore d'aboutir à une baisse de performance dans les activités externalisées. Un certain nombre de ces risques peuvent être appréhendés pendant la période pré-contractuelle et anticipés dans le cadre du contrat signé avec le prestataire.
Q: Vous faites référence à une période pré-contractuelle, quels sont les problèmes spécifiques de cette période ?
R : Le contrat d'externalisation ne peut être établi qu'à l'issue d'une phase préalable au cours de laquelle le client exprime ses besoins et le prestataire prend connaissance des caractéristiques techniques et juridiques de l'entreprise.
Q : Comment sont exprimés les besoins du client ?
R : Préalablement à toute décision d'externalisation, il est indispensable d'évaluer avec précision l'opportunité de réaliser une telle opération. A l'issue de cette phase d'évaluation, le client rédige ou fait rédiger un document de synthèse exprimant ses attentes et besoins, c'est le cahier des charges. Ce document énonce les obligations contractuelles attendues du prestataire par le client, qu'elles soient administratives ou techniques, générales ou particulières. En principe, le cahier des charges est rédigé par le client qui y exprime ses besoins réels, les objectifs et les performances à atteindre. En pratique, cette rédaction est soit confiée par le client à un conseil extérieur, soit directement effectuée par le prestataire d'externalisation.
Q: Le cahier des charges est-il nécessaire ? Dans quel cadre le prestataire prend connaissance de l'infrastructure du client ?
R : Le cahier des charges revêt une importance cruciale dans la mesure où il a une valeur contractuelle et délimite ainsi la responsabilité du prestataire quant à la réalisation des prestations. La rédaction du cahier des charges doit, en outre, s'accompagner d'audits réalisés par le prestataire chez le client. Ces audits sont nécessaires au prestataire pour prendre connaissance de l'entreprise. Un audit technique permet, ainsi, au prestataire d'obtenir une description technique complète du système, de ses performances et d'apprécier les moyens qui seront mis en œuvre dans le cadre des opérations d'externalisation. Dans certains cas, un audit juridique sera réalisé notamment pour clarifier les droits de propriété intellectuelle (licence d'exploitation de logiciels) dont l'entreprise dispose sur les éléments de son système.
Q : Durant cette période pré-contractuelle, peut-on rompre les négociations ? existe-t-il un risque à cette occasion ?
R: La période pré-contractuelle est en principe caractérisée par la liberté de rompre les pourparlers. En effet, à ce stade, les futurs contractants n'ont pas nécessairement officialisé leurs négociations dans le cadre d'outils juridiques précis tels que les lettres d'intention ou les protocoles d'accord. Dans ces conditions, les simples pourparlers qui n'ont pas abouti à une offre véritable peuvent être rompus. Pour autant, cette liberté de rompre les négociations peut constituer, dans certains cas, une faute, susceptible d'être réparée sur le fondement du droit commun de la responsabilité civile, à savoir les articles 1382 et 1383 du Code civil. Pour apprécier cette faute, les tribunaux prennent notamment en considération l'importance et la singularité du contrat discuté, l'état d'avancement des négociations, la durée de celles-ci, etc. Concernant la réparation du préjudice subi, sont réparables les dommages matériels ainsi que le dommage moral comme l'atteinte à la réputation commerciale. Concrètement, une indemnité forfaitaire pourra être attribuée à la partie lésée. En tout état de cause, les tribunaux prennent en compte l'importance de l'aléa des négociations.
Q : Après cette phase pré-contractuelle, le contrat d'externalisation doit être signé. Quels sont les points clés d'un tel contrat ?
R : Le contrat joue un rôle primordial dans la réussite ou l'échec d'une opération d'externalisation. La rédaction de certaines clauses doit être particulièrement rigoureuse afin d'éviter certaines déconvenues, notamment quant à l'obligation d'information, de conseil et de collaboration, les conditions financières, la réversibilité et les engagements de niveaux de services.
Q : L'obligation d'information n'est pas une nouveauté. Quels sont les spécificités du contrat d'externalisation dans ce cadre ?
R : Comme tout prestataire de services, le prestataire d'externalisation est tenu à une obligation de conseil à l'égard de son client qui dépasse la simple obligation de fournir des informations objectives sur la solution proposée. En effet, l'externalisation est une opération qui a des conséquences importantes sur l'entreprise. Dans ces conditions, le prestataire se doit d'orienter le choix de son client en préconisant la solution qui lui apparaît la plus adaptée. L'obligation d'information pèse sur le prestataire pendant toute la durée du contrat. En effet, celui-ci se doit d'avertir son client sur les éléments qui peuvent avoir des conséquences sur les opérations d'externalisation. Cette obligation de conseil du prestataire a pour corollaire l'obligation de collaboration du client. En effet, en raison de la nature des prestations, le client doit se renseigner, poser les questions nécessaires, c'est-à-dire s'impliquer activement en interrogeant le fournisseur sur les éléments qui pourraient lui échapper. En pratique, l'obligation de collaboration est effective lorsque des comités de suivi des prestations sont mis en place et se tiennent entre les parties. Lors des comités de suivi, les parties ont la possibilité d'examiner le niveau de performance atteint par le prestataire sur une période donnée, de modifier les indicateurs de qualité, de prendre en compte les évolutions des services, en bref d'adapter le contrat aux nouveaux besoins exprimés.
Q : Comment sont fixées les conditions financières d'un contrat d'externalisation ?
R : Il existe plusieurs types de clauses de prix applicables pour déterminer le coût de l'exploitation. Le prix peut être fixé forfaitairement dès la signature du contrat par les parties. De telles clauses permettent de planifier les dépenses. Toutefois, de par sa nature, le prix fixé forfaitairement ne prend pas en compte l'incidence des évolutions souhaitées par le client. De telles évolutions sont alors formalisées dans le cadre d'avenants. Ce type de clause reste cependant bien adaptée pour les contrats de courte durée. Le prix peut être évolutif, c'est-à-dire fixé dans le cadre du contrat mais pouvant évoluer en fonction des coûts de production du prestataire et des coûts des évolutions technologiques. Cette clause présente l'avantage de prendre en compte les investissements réalisés par le prestataire et incidemment les évolutions du contrat. Le client bénéficie alors d'une certaine prévisibilité.
Q : en quoi consiste la "réversibilité" ? quels sont les problèmes posés à cette occasion ?
R : La question de la sortie du contrat doit être réglée dès la signature du contrat. En effet, le client ne doit pas se retrouver totalement dépendant de son prestataire. La clause de réversibilité permet au client de prévoir les conditions dans lesquelles le client pourra reprendre en interne la fonction externalisée ou encore, de transférer, à un autre prestataire, la gestion de cette fonction, ce qui est plus souvent le cas. Cette possibilité doit être offerte au client quelque soit les raisons pour lesquelles le contrat a pris fin (terme, résiliation anticipée, résiliation pour faute). Afin d'autoriser en pratique cette réversibilité, le prestataire doit s'engager à rendre la réversibilité techniquement réalisable. Il doit, à cette fin et dans le cadre de l'exécution du contrat, mettre en œuvre des solutions (matérielles ou logicielles) standards qui ne seront pas susceptibles de porter atteinte à la réversibilité. En outre, et afin d'éviter toute déconvenue, les conditions d'application et les modalités pratiques de mise en œuvre de cette réversibilité devront être contractualisées avec précision afin de prévoir à l'avance son coût. Devront notamment être clarifiées les modalités de transfert des matériels, les modalités d'assistance du personnel du prestataire à la réalisation de réversibilité (temps consacré, nombre de personnels), les modalités de transfert des données et du savoir-faire, les incidences sociales, etc. En pratique, la réussite d'une opération de réversibilité dépend largement d'une étroite collaboration entre le client, le prestataire et dans certains cas, le nouveau prestataire retenu. Le contrat devra révéler cette collaboration lors de cette phase délicate.
Q : En quoi consiste un engagement de niveau de service ? Comment sécuriser cette partie essentielle du contrat d'externalisation ?
R : Le contrat d'externalisation se caractérise en effet par le niveau de services que le prestataire s'engage à respecter dans le cadre de l'exécution des prestations. L'engagement de niveau de services ("Service Level Agreement" ou "SLA") a pour objet de préciser le niveau de performance exigé par le client et l'étendue des garanties apportées par le prestataire pour un périmètre déterminé. L'engagement de niveau de services doit être intégré au contrat afin d'avoir une valeur juridique équivalente. Il convient, au sein du SLA, de définir avec précision des indicateurs de qualité pertinents, ce qui s'avère particulièrement difficile en pratique. A chaque indicateur est associée une valeur de référence, convenue entre les parties, et mis à jour périodiquement. La non réalisation de la valeur fixée pourra donner lieu à sanction. Concrètement, il s'agit de mesurer les délais d'intervention dans le cadre de la maintenance, les délais de prise en compte de demandes spécifiques, la performance de la sécurité du système en matière informatique ou dans le cadre de l'externalisation des systèmes de télécommunication, etc. Ces indicateurs doivent être simples, auditables et évolutifs.
Q : Comment se matérialise les conséquences du non respect du SLA ?
R : L'engagement de niveau de services est souvent accompagné
de sanctions pécuniaires applicables lorsque le seuil de performance
n'est pas atteint. Le client peut ainsi prétendre à une diminution
du prix dû ou bien au versement d'une indemnité compensatrice. Juridiquement,
cette sanction peut être qualifiée de clause pénale. La clause pénale
a pour fonction d'assurer l'exécution des obligations souscrites.
Elle permet de sanctionner un retard dans l'exécution d'une obligation
(pénalité moratoire) ou une inexécution totale de l'obligation (pénalité
compensatoire). La clause pénale est donc une sécurité contractuelle
pour le client, qui reste libre de l'actionner. La rédaction des
clauses pénales doit être effectuée avec soin en raison de la faculté
pour le juge d'en diminuer le montant s'il considère celui-ci comme
excessif.
© Frédéric Mascré - septembre 2003
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