Clause limitative de responsabilité : les conditions de validité - l'apport de l'arrêt Faurecia du 29 juin 2010
- Focus sur les clauses limitatives de responsabilité dans les contrats informatiques - à propos de l’arrêt de la Cour de Cassation du 29 juin 2010, Sté Faurecia sièges d’Automobiles c/ Sté Oracle France -
Dans un arrêt très attendu, rendu le 29 juin 2010, la Chambre Commerciale de la Cour de Cassation a apporté des éclaircissements quant au sort à réserver aux clauses limitatives de responsabilité dans les contrats informatiques (et au-delà). Selon la Haute Juridiction, « seule est réputée non écrite la clause limitative de réparation qui contredit la portée de l’obligation essentielle souscrite par le débiteur ». Dès lors, le simple manquement à une obligation essentielle du contrat ne suffit pas à écarter les effets d'une clause limitative de responsabilité. Encore faut-il apprécier cette clause limitative au regard de l'économie générale du contrat et déterminer si elle vide de toute substance l'obligation essentielle du contrat. Ou bien caractériser l'existence d'une faute lourde qui doit seule s'apprécier au regard du comportement du débiteur.
Aux termes de son arrêt rendu le 29 juin 2010, la Cour de Cassation a mis fin à un lourd contentieux entre la société Faurecia et la société Oracle portant sur les effets à donner à une clause limitative de responsabilité en présence d'un manquement établi à une obligation essentielle.
La clause limitative de responsabilité et la notion d'obligation essentielle
Dans son célèbre arrêt Chronopost du 22 octobre 1996, la Cour de Cassation au visa de l'article 1131 du Code Civil(relatif à la cause des contrats) avait retenu qu'en raison du manquement à une obligation essentielle, la clause limitative de responsabilité qui contredisait la portée de l'engagement pris devait être réputée non écrite.
A la lecture de cet arrêt, une clause limitative de responsabilité portant sur une obligation essentielle et contredisant la mportée de l'engament du débiteur devait être réputée non écrite.
Mais postérieurement à cet arrêt, les juges étaient progressivement revenus sur cette décision. et apprécié plus durement les conditions de validité des clauses de validité d'une clause limitative de responsabilité. Le simple manquement à une obligation essentielle permettait ainsi de réputer non écrite une clause limitative de responsabilité, sans faire référence plus avant à la portée de l'engagement pris.
C'est dans ce cadre que s'est inscrit le lourd contentieux de l'affaire Faurecia c/ Oracle et l'appréciation de la validité des clauses de limitation de responsabilité..
En cette affaire, une société d’équipements automobiles avait conclu un contrat de licence, un contrat de maintenance, un contrat de formation, et un contrat de mise en œuvre d’un progiciel avec une société de services informatiques dans le cadre d’une refonte de son système d’informations.
Le logiciel n’étant pas disponible pour le passage à l’an 2000, un programme provisoire fut installé. Toutefois, celui-ci avait engendré de graves difficultés et la version définitive de la solution ne fut pas livrée par le prestataire informatique.
Aussi, l’équipementier cessa de régler les redevances et assigna le prestataire aux fins de nullité pour dol ou résolution pour inexécution de l’ensemble des contrats signés par les parties.
Le constat préalable du manquement à une obligation essentielle
Dans un arrêt du 31 mars 2005, la Cour d’Appel de Versailles avait reconnu les manquements du prestataire mais avait restreint l’allocation des dommages et intérêts en reconnaissant la validité d’une clause limitative de réparation convenue entre les parties.
Un pourvoi avait été formé contre l'arrê de la la Cour d'Appel de Versailles.
Dans un premier arrêt, la Cour de Cassation avait censuré la décision de la Cour de Versailles par une interprétation plus stricte, et relevé qu’un manquement à une obligation essentielle est « de nature à faire échec à l’application de la clause limitative de réparation » (Cass. Com., 13 février 2007).
Compte tenu des précisions apportées par la Cour de Cassation, la question était de savoir si le simple constat d’un manquement à une obligation essentielle devait entraîner ou non l'anéantissement automatique d'une clause limitative de responsabilité.
Le manquement à une obligation essentielle n'est pas suffisant pour priver d'effet une clause limitative de responsabilité
Statuant sur renvoi, la Cour d’Appel de Paris, dans son arrêt du 26 novembre 2008, s’est opposée au caractère systématique de la nullité d'une clause limitative de responsabilité du seul fait d'un manquement à une obligation essentielle.
En se livrant à une analyse in concreto des contrats passés, la Cour d'Appel a relevé notamment que :
- la clause limitative de responsabilité avait été librement négociée et acceptée par les parties, qui étaient rompues aux négociations et averties en matière de clauses limitatives de réparation,
- la clause limitative de responsabilité ne vidait pas de toute substance l’obligation essentielle du contrat mais fixait un plafond d’indemnisation qui n’était pas dérisoire,
- la clause limitative de responsabilité ne privait pas de toute contrepartie le cocontractant.
Compte tenu de ses constatations, la Cour d'Appel de Paris a ainsi relevé que si le prestataire avait effectivement manqué à une obligation essentielle du contrat, la clause limitative de réparation ne privait pas l'équipementier de toute contrepartie et n'avait pas pour effet de priver de toute substance l'obligation essentielle incombant au prestataire informatique.
La Cour a dès lors jugé que la responsabilité du prestataire devait en conséquence être valablement plafonnée en exécution de cette clause limitative de réparation.
Un nouveau pourvoi était alors formé par l'équimementier qui n'acceptait pas de voir la responsabilité du prestataire limitée alors que celui-ci était par ailleurs reconnu comme ayant manqué à une obligation essentielle du contrat.
Dans son arrêt récent du 29 juin 2010, la Cour de Cassation est venue mettre un terme à ces hésitations jurisprudentielles en déclarant que « seule est réputée non écrite la clause limitative de réparation qui contredit la portée de l’obligation essentielle souscrite par le débiteur ».
La clause limitative de responsabilité et la faute lourde
La faute lourde est de nature à priver d'effet une clause limitative de responsabilité.
En réponse aux arguments aux termes desquels la faute lourde du prestataire devait faire échec à la clause limitative de responsabilité, la Cour d'Appel de renvoi a relevé que la preuve n'était pas rapportée que le prestataire avait eu conscience du dommage qu'il allait causer ou qu'il avait commis une faute d'une gravité telle qu'elle tiendrait en échec la clause limitative de réparation. La conception subjective de la faute lourde, reponsant sur l'appréciation du comportement du débiteur, était alors retenue par les juges.
Dans son arrêt du 29 juin 2010, la Cour de Cassation est venue simplement rappeler sa jurisprudence et énonçant que « la faute lourde ne peut résulter du seul manquement à une obligation contractuelle, fût-elle essentielle, mais doit se déduire de la gravité du comportement du débiteur ».
Le simple manquement à une obligation essentielle ne suffit pas à caractériser une faute lourde
Si la faute lourde est en effet de nature à écarter l’application de la clause limitative de responsabilité, celle-ci ne peut résulter du seul manquement à une obligation contractuelle, fût-elle essentielle, mais elle doit se déduire de la gravité du comportement du débiteur.
La faute lourde doit s'apprécier au regard du comportement du débiteur
Cette solution n'est pas nouvelle. La Cour de Cassation ne fait en effet que rappeller, dans son arrêt du 29 juin 2010, une position identique énoncée aux termes d'un précédent arrêt Chronopost du 13 juin 2006 aux termes duquel il avait déjà été affirmée que la faute lourde de nature à faire échec à la limitation d'indemnisation ne pouvait résulter du seul manquement à une obligation contractuelle, fut-elle essentielle, mais devait se déduire de la gravité du comportement du débiteur.
Il doit toutefois être rappelé que les fautes dolosives ou lourdes vidant le contrat de sa substance sont toujours de nature à écarter une clause limitative de responsabilité, qu’une obligation essentielle soit en cause ou non.
Portée de l'arrêt Faurecia du 29 juin 2010 : une décision emportant des considérations juridiques et économiques.
La solution retenue dernièrement par les juges suprêmes renoue avec des considérations juridiques et économiques que certains qualifieront de plus orthodoxes.
La nécessaire identification de l'obligation essentielle du contrat et la portée de la clause limitative de responsabilité au regard de l'économie générale du contrat
Il est désormais établi que les tribunaux devront contrôler à la fois la portée de l’engagement et la portée de la clause limitative de responsabilité, et seule leur incompatibilité devra être sanctionnée.
Il convient de souligner qu’à ce titre, la décision est conforme au principe de l’autonomie de la volonté (liberté contractuelle) et à l’exigence de moralisation des rapports contractuels : si le contenu d’une clause limitative de responsabilité ne doit pas porter atteinte à une obligation souscrite, sa seule existence ne peut suffire à en déduire une quelconque incompatibilité.
Sous un angle strictement juridique, le caractère automatique de l’anéantissement de la clause limitative de responsabilité avait déjà été remis en cause à plusieurs reprises. La décision du 29 juin 2010 vient donc mettre un terme à ce débat passionné.
Par ailleurs, d’un point de vue économique, l'interprétation in concreto de l'économie générale du contrat, désormais portée par les juges, devrait faciliter l'appréciation délicate de la validité de la clause limitative de responsabilité. Compte tenu de cette nouvelle grille de lecture, et d'appréciation des risques, les professionnels devraient être plus à même de maitriser les risques liés à leurs activités, grâce à une meilleure prévisibilité des coûts liés à la réparation d’éventuels préjudices. Il en va ainsi de la détermination d’un plafond d’indemnisation acceptable par les parties cocontractantes.
En conclusion : L'arrêt du 29 juin 2010 rendu par la Cour de Cassation dans le cadre de l'affaire Faurecia vient apporter des précisions essentielles nécessaires à l'appréciation de la validité des clauses limitatives de responsabilité. Le caractère non dérisoire de l’indemnisation, l’équilibre général du contrat, et l’absence de contradiction avec l’obligation essentielle, devront désormais être pris en compte avant d'entériner les termes d'un contrat.
- Fiche point de vue : juillet 2010 -
© Mascré Heguy Associés - juillet 2010
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