BLOGS, FORUMS ET AUTRES ESPACES DE CONTRIBUTIONS PERSONNELLES : LA NOUVELLE RESPONSABILITE DU DIRECTEUR DE PUBLICATION
Si l'adoption de la loi HADOPI du 12 juin 2009 a été quelque peu mouvementée et abondamment commentée, voire critiquée dans les médias à propos des téléchargements, d'autres aspects de la loi HADOPI, moins connus du grand public, ont révélé la volonté du législateur d'adapter le régime de responsabilité du directeur de publication face aux contributions trop "spontanées" des Internautes sur les blogs, forums de discussions et autres espaces de contributions personnelles du Web 2.0. Ces derniers mois sont apparues les premières décisions de justice rendues en application de ce nouveau régime de responsabilité.L'occasion de faire le point sur les risques encourrus par les directeurs de publication dans ces nouveaux espaces.
Les délits de presse, prévus par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse (diffamation, injure, etc.), sont aussi sanctionnés sur Internet. Il n'est donc pas possible de "tout dire" ou de "tout faire" sur Internet. Dès lors qu'ils sont commis par un moyen de communication au public par voie électronique, les délits de presse engagent en premier lieu le directeur de publication, considéré comme auteur principal des propos délictueux. Mais les commentaires à chaud des Internautes et l'instantanéité de la mise en ligne de ces "réactions" propres au Web 2.0 avaient conduit les juges à tisser un régime de responsabilité du directeur de publication reposant sur le critère de fixation préalable. Seul le contrôle du contenu opéré avant mise en ligne avait pour effet d'engager la responsabilité du directeur de publication.
Dans les espaces de contributions personnelles, ce critère de fixation préalable est désormais abandonné par le législateur. La loi HADOPI n°2009-669 du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet a ainsi créé un nouveau régime de responsabilité du directeur de publication, propre aux espaces de contributions personnelles. Les blogs, forums de discussions et autres espaces d'expression des Internautes sont désormais régis par ces dispositions.
En l'absence d'espace de contributions personnelles : le maintien de la responsabilité du directeur de la publication en cas de fixation préalable du contenu
En l'absence d'espace de contributions personnelles, la responsabilité du directeur de publication reste régie par l'article 93-3, alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle.
Le Directeur de la publication est poursuivi comme auteur principal du délit de presse lorsque le message incriminé a fait l'objet d'une fixation préalable à sa communication au public.
La fixation préalable doit s'entendre comme le contrôle préalable opéré sur le contenu avant sa diffusion au public. La diffusion au public après sa fixation implique en effet l'analyse préalable du contenu, l'acceptation de ce contenu et la volonté de diffuser ce contenu. Du fait de cette fixation et de l'acquiescement au contenu mis en ligne, le directeur de publication sera en conséquence poursuivi comme auteur principal si le contenu mis en ligne constitue un délit de presse.
Si, au contraire, il n’y a pas eu de fixation préalable, le directeur de la publication ne peut voir sa responsabilité engagée. On applique alors les règles de responsabilité en cascade contenues dans le même article 93-3. Faute de pouvoir engager la responsabilité du directeur de publication, on recherchera alors la responsabilité de l’auteur du contenu litigieux en tant qu'auteur principal. Faute de pouvoir identifier l'auteur du contenu litigieux, le producteur sera alors poursuivi comme auteur principal.
La jurisprudence considère que l’article 93-3 permet de poursuivre le directeur de publication qui aurait la qualité de producteur même si le message litigieux n’a pas fait l’objet de fixation préalable. En effet, la Cour de Cassation a récemment précisé (Cass. Crim. 16 fév. 2010) que si le directeur de publication n’était pas reconnu responsable du message litigieux en sa qualité de directeur de publication, cela n’empêchait pas la Cour d’Appel de rechercher « si le directeur de la publication n’avait pas également la qualité de producteur au sens de l’article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 ». Aussi, le directeur de publication et le producteur peuvent-ils former une seule et même personne. Faute de pouvoir être tenu pour responsable du message litigieux en sa qualité de directeur de la publication, ce dernier peut être tenu pour responsable cette fois en sa qualité de producteur.
L'apport de la loi HADOPI : la responsabilité du Directeur de la Publication propre aux espaces de contributions personnelles
La loi HADOPI du 12 juin 2009 a intégré un cinquième alinéa à l’article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle, qui définit le régime de responsabilité du directeur de publication dans les espaces de contributions personnelles.
La loi HADOPI opère depuis lors une distinction, selon que le message incriminé est adressé par un internaute, dans un espace de contributions personnelles identifié comme tel, ou non.
Ainsi « lorsque l’infraction résulte du contenu d’un message adressé par un internaute à un service de communication au public en ligne et mis par ce service à la disposition du public dans un espace de contributions personnelles identifié comme tel, le directeur ou le codirecteur de publication ne peut pas voir sa responsabilité pénale engagée comme auteur principal s’il est établi qu’il n’avait pas effectivement connaissance du message avant sa mise en ligne ou si, dès le moment où il en a eu connaissance, il a agit pour retirer promptement le message ».
Il ressort de ces dispositions que ce régime spécial de responsabilité du directeur de publication s'applique :
- aux espaces de contributions personnelles,
- lorsque l'infraction résulte d'un message adressé par un internaute.
Condition préalable : l'existence d'un espace de contributions personnelles
L’article 93-3 alinéa 5 de la loi du 29 juillet 1982 définit désormais le régime spécial de responsabilité du directeur de publication propre aux espaces de contributions personnelles.
Ces disposition s'appliquent aux blogs, forums, sites internet et plus généralement à tous les espaces publics de discussion au sein desquels les internautes contribuent par leurs messages et commentaires.
Condition préalable : le message litigieux doit avoir été adressé par un internaute
Pour que le régime spécial de responsabilité s'applique, il faut que le message litigieux ait été adressé par un internaute.
Il s'agit là de traiter uniquement des "dérapages" et autres "réactions à chaud" d'internautes mises instantanément en ligne. L'idée est d'adapter le droit de la responsabilité du directeur de publication tout en rappelant que les comportements des interautes doivent être encadrés juridiquement.
Le régime spécial de responsabilité du directeur de publication du fait des contributions des internautes
Désormais, la situation du directeur de publication face à des contributions laissées par des internautes « dans un espace de contributions personnelles » se trouve améliorée.
Le directeur de publication ne peut plus voir sa responsabilité engagée comme auteur principal s’il est établi « qu’il n’avait pas effectivement connaissance du message avant sa mise en ligne ou si, dès le moment où il en a eu connaissance, il a agi promptement pour retirer ce message ».
le critère de connaissance effective du message avant mise en ligne
Il ressort de l'article 93-3 alinéa 5 que le législateur ne retient plus le critère de fixation préalable mais le critère de la connaissance effective du message incriminé avant sa mise en ligne. Ce critère de connaissance effective apparait plus favorable au directeur de publication, une telle connaissance effective étant par essence plus difficile à prouver que l’existence d’une fixation préalable.
Dans un arrêt récent (TGI Paris 9 octobre 2009), le Tribunal de Grande Instance de Paris a eu l’occasion d’appliquer pour la première fois ce nouveau régime de responsabilité issu de l'alinéa 5 de l’article 93-3. Dans cette affaire, des propos diffamatoires et injurieux avaient été postés par des internautes à propos d’une célébrité sur un site « people ». Si le directeur de publication avait dans un premier temps supprimé le fil de discussion concerné, il avait ultérieurement remis en ligne certains des messages litigieux. Les juges du fond ont alors considéré que le directeur de publication « ne saurait sérieusement nier, dans de telles circonstances, en avoir eu préalablement et effectivement connaissance avant leur nouvelle mise en ligne ». Le directeur de publication avait donc vu sa responsabilité pénale engagée en tant qu'auteur principal du fait de propos diffamants et injurieux tenus par des internautes dans cet espace de discussion.
La nécessité d'agir promptement pour retirer le message dès que le directeur de publication en a connaissance
Si le directeur de publication n’avait pas connaissance du message incriminé avant sa mise en ligne, il devra désormais agir « promptement pour retirer ce message » dès le moment où il en a eu connaissance.
Ainsi, il incombe au directeur de publication une obligation de réaction à bref délai.
Le régime de la responsabilité du directeur de publication du fait des contributions des internautes ressemble ainsi à la responsabilité des hébergeurs contenue aux à l’article 6-I 2° et 3° de la loi sur la confiance dans l’économie numérique (LCEN) du 21 juin 2004. Mais si la loi LCEN prévoit un formalisme pratique permettant aux juges de se prononcer, de nombreuses imprécisions existent dans le nouveau régime de responsabilité du directeur de publication. Les juges devront donc construire peu à peu ce nouveau régime, quitte à s'inspirer des règles de la loi LCEN.
En conclusion : La loi HADOPI du 12 juin 2009 a instauré un régime spécial de responsabilité envers le directeur de publication lorsque les messages émanent d'internautes sur des espaces de contributions personnelles. Cependant, les modalités d’application de cette nouveau régime de responsabilité n’ont pas été précisées, comme peuvent l’être celles du régime de responsabilité des hébergeurs, ce qui est à regretter, car source d'insécurité juridique. Il n'en demeure pas moins que ce régime de faveur favorable aux directeurs de publications devra être recherché, permettant ainsi aux entreprises de s'adapter face aux comportements des internautes.
- Fiche point de vue : février 2010 -
© Mascré Heguy Associés - février 2010
Voir nos autres fiches point de vue consacrées au droit de l'informatique et au droit des nouvelles technologies de l'information