Publications | Fiches point de vue

 

Le prix des promesses de vente des droits sociaux peut désormais être prévu dans les statuts ou un pacte d'actionnaires sans intervention d'un expert en application de l'article 1843-4 du Code civil.

Pendant de nombreuses années, le prix des promesses de vente de droits sociaux était soumis à expertise par application de l’article 1843-4 du Code civil en cas de contestation entre les parties selon la jurisprudence bien établie de la Cour de cassation. Avec l’arrêt du 11 mars 2014 de la Chambre commerciale de la Cour de cassation (n°11-26.915, FS+P+B+R+I) les parties pourront librement décider du prix d’une promesse de vente de droits sociaux sans risquer que le prix de vente soit modifié par l’intervention d’un tiers expert.

Rappel sommaire de la jurisprudence antérieure : le prix de vente des droits sociaux et l’article 1843-4 du Code civil

L’article 1843-4 du Code civil dispose : « Dans tous les cas où sont prévus la cession des droits sociaux d’un associé, ou la rachat de ceux-ci par la société, la valeur de ces droits est déterminée en cas de contestation, par un expert désigné, soit par les parties, soit à défaut d’accord entre elles, par ordonnance du président du tribunal statuant en la forme des référés et sans recours possible ».

Au visa de cet article 1843-4, considéré comme d’ordre public, la Chambre commerciale de la Cour de cassation, avait considéré, dans un arrêt du 4 décembre 2012, qu’il n’était pas possible de faire échec aux dispositions de l’article 1843-4 du Code civil même si « les parties n’ont aucunement convenu, en cas de désaccord, de désigner un expert pour la détermination du prix des actions ».

Cette jurisprudence se situait dans la lignée d’une décision antérieure de la même Chambre commerciale de la Cour de cassation du 4 décembre 2007 qui avait considéré qu’il n’était pas possible de faire prévaloir les statuts, qui comportent une clause d’évaluation des droits sociaux, sur l’article 1843-4 du Code civil.

Aux termes de ces décisions, la Cour de cassation avait élargi le champ d’application de l’article 1843-4, rendant la stipulation d’un prix en dehors de l’intervention d’un expert extrêmement délicate.

Cette jurisprudence a posé d’autant plus de difficultés que l’expert avait toute latitude pour procéder librement à l’évaluation du prix des droits sociaux.

Aux termes de plusieurs arrêts de la Cour de cassation, l’expert désigné déterminait librement les critères d’évaluation des droits sociaux, sans avoir à être guidé par les statuts ou les consignes des parties, et sans que l’on puisse lui préciser une méthode d’évaluation.

Son évaluation des droits sociaux ne pouvait être contestée que si l’expert avait commis une erreur grossière.

Sous l’empire de cette jurisprudence, les promesses de vente de droits sociaux étaient soumises à un fort aléa sur le prix de vente, ce qui était source d’insécurité juridique dans bon nombre de situations (clause de « buy or sell », promesses unilatérales de vente en cas de faute ou sans faute, management package, etc.).

L’article 1843-4 du Code civil et l’apport de l’arrêt du 11 mars 2014 de la Cour de cassation

un net revirement de jurisprudence

Aux termes de l’arrêt du 11 mars 2014 (Cass. com. 11 mars 2014 n°11-26.915) la Chambre commerciale de la Cour de cassation opère un net revirement de jurisprudence, en cassant un arrêt de la Cour d’Appel de Grenoble qui avait appliqué la jurisprudence antérieure de la Cour de cassation sur le prix de vente des droits sociaux.

La volonté affirmée par la Cour de cassation de diffuser largement cet arrêt (FS+P+B+R+I) manifeste une volonté claire d'instaurer une nouvelle jurisprudence.

La non application de l'article 1843-4 du Code civil aux promesses unilatérales de vente de droits sociaux

La Cour de cassation considère désormais que les dispositions de l’article 1843-4 du Code civil « qui ont pour finalité la protection des intérêts de l’associé cédant, sont sans application à la cession des droits sociaux ou à leur rachat par la société résultant de la mise en œuvre d’une promesse unilatérale de vente librement consentie par un associé ».

En l’occurrence, la Cour d’Appel de Grenoble a été sanctionnée pour avoir fait une stricte application de la jurisprudence antérieure de la Cour de cassation, et considéré qu’ « en vertu de la règle impérative posée par l’article 1843-4 du code civil, nul associé ne peut être contraint de céder ses droits sociaux sans une juste indemnisation arbitrée à dire d’expert » et que « la clause des statuts ou d’un pacte extrastatutaire, qui fixe par avance la valeur des parts ou des actions rachetées, ne peut prévaloir sur la règle légale lorsque, comme en l’espèce l’associé évincé en conteste l’application ».

La possibilité de stipuler un prix de vente de droits sociaux sans risque

En conséquence de l'arrêt du 11 mars 2014, il sera désormais possible aux parties de stipuler un prix de vente de droit sociaux sans risquer qu’un tiers-expert n’intervienne et remette en cause la volonté des parties, en cas de simple contestation du prix de vente au moment de sa réalisation.

Bien évidemment, des cas particuliers subsisteront notamment si la formule de prix de vente choisie par les parties est inapplicable. On peut penser que l’expert intervenant sur le fondement de l’article 1843-4 du Code civil sera alors chargé de déterminer le prix de vente en restant au plus près de la formule choisie par les parties.

L’arrêt du 11 mars 2014 va sans conteste apporter plus de sécurité juridique aux praticiens en charge de la rédaction des promesses de vente portant sur les droits sociaux en matière commerciale, en particulier dans les opérations de capital risque ou de capital-investissement.

La portée de l'arrêt du 11 mars 2014 - le projet de réforme législative annoncé par le gouvernement

Cependant, on peut s’interroger sur la portée de l’arrêt du 11 mars 2014 dont l’attendu de principe semble viser le seul cas de « la promesse de vente unilatérale librement consentie par un associé ». A contrario, si une stipulation relative au prix de cession des droits sociaux devait être imposée par une modification statutaire sans que l’associé cédant n’ait voté favorablement sur cette modification, il n’est pas sûr que l’application de l’article 1843-4 du Code civil puisse être écartée, au vu de cette nouvelle jurisprudence.

La loi du 2 janvier 2014 : l'habilitation du gouvernement à réformer l'article 1843-4 du Code civil par voie d'ordonnance

En tout état de cause, cette nouvelle interprétation de la Cour de cassation semble annoncer la future réforme, que le gouvernement français est en train de préparer, visant à « modifier l’article 1843-4 du code civil pour assurer le respect par l’expert des règles de valorisation des droits sociaux prévues par les parties  » (article 3 de la Loi n°2014-1 du 2 janvier 2014, habilitant le gouvernement à simplifier et sécuriser la vie des entreprises).

Le libellé de la réforme annoncée est clair. L’expert devra respecter les règles de valorisation des droits sociaux prévues par les parties.

En conclusion : Il semble que tant la juridiction suprême que le gouvernement français aient pris conscience des difficultés pratiques d’application de l'article 1843-4 du Code civil, et de leur impact sur la vie des affaires. Le revirement jurisprudentiel opéré par la Cour de cassation, par son arrêt du 11mars 2014, et l'annonce d'une réforme législative par le gouvernement spécialement habilité à cet effet devraient prochainement mettre un terme aux dernières incertitudes.

Gageons que les choses se stabilisent et que notre droit offre la sécurité nécessaire aux investisseurs français et étrangers.

 


- Fiche point de vue : mars 2014 -

© Mascré Heguy Associés - mars 2014

 

Voir nos autres fiches point de vue consacrées au droit des affaires

 

 

Mascré Heguy associés

Mascré Heguy Associés

27/29 rue Raffet

75016 PARIS

Tél: (33-1) 42.56.08.80

Fax: (33-1) 42.56.08.82