La délégation de pouvoir
La nécessité de maîtriser le droit des délégations de pouvoirs est essentielle pour le dirigeant qui peut voir ses responsabilités civile et/ou pénale engagées. Explications.
La délégation de pouvoir apparaît aujourd’hui une nécessité pour les entreprises d’une certaine taille, notamment celles qui se composent de plusieurs établissements ou qui font partie d’un groupe. Elle est cependant soumise à des règles strictes. En effet, l’enjeu de la validité d’une délégation de pouvoir est le transfert de la responsabilité pénale du délégant vers le délégataire.
Les conditions de validité de la délégation de pouvoir
De nombreuses conditions de fond
Les conditions de fond de la validité des délégations de pouvoirs sont nombreuses et strictes. En effet, le transfert de la responsabilité pénale inhérente au dirigeant sur la personne du préposé n’est pas un acte neutre, notamment dans les établissements où la sécurité et l’hygiène sont maîtres mots.* La taille de l’entreprise : un préalable à la délégation de pouvoir : la délégation de pouvoir n’est pas seulement une faculté. Elle ne peut être pratiquée que lorsque la taille de l’entreprise le justifie et que le chef d’entreprise ne peut pas surveiller toutes ses activités seul. La délégation de pouvoir est au contraire une obligation dès lors que la taille de l’entreprise le justifie.
* Le lien hiérarchique : le délégataire doit être subordonné par un lien hiérarchique au délégant (le plus souvent un salarié sous contrat de travail). Ce lien hiérarchique peut intervenir entre sociétés d’un même groupe.
* Conditions de fond tenant au délégataire : la compétence, l’autorité et les moyens nécessaires pour accomplir sa mission : ces conditions donnent régulièrement lieu à un contentieux très fourni. Le délégataire doit avoir la compétence, l’autorité et des moyens nécessaires pour accomplir sa mission. La compétence que l’on exige du préposé recouvre la compétence technique, mais aussi la compétence juridique pour faire face aux risques de l’entreprise. Le délégataire doit également avoir l’autorité nécessaire aux fins de faire respecter les règlementations techniques et juridiques et disposer à cet effet d’un pouvoir disciplinaire. Le délégataire doit bénéficier notamment des moyens techniques, logistiques, financiers, etc. afin de mener à bien sa mission de surveillance et de contrôle.
* Conditions de fond tenant à la délégation : la délégation doit être circonstanciée, et ne peut donc pas porter sur l’ensemble des pouvoirs du délégant. Elle doit également être limitée dans la durée et dans l’espace. Elle doit en outre être certaine et dépourvue d’ambigüité : il est essentiel que le délégant comme le délégataire s’accordent sur ce qu’ils s’engagent à transférer. Elle doit également être acceptée par le délégataire, qui peut alors mesurer la portée de son engagement.
Un formalisme non exigé mais nécessaire
* L’aménagement de la preuve : la délégation de pouvoir ne requiert pas de forme particulière, mais il est vivement conseillé d’aménager la preuve de la délégation de pouvoir par écrit pour prouver son existence et le respect de ses conditions de validité.* Le nécessaire suivi des délégations de pouvoirs : l’écrit permet en outre à la société et aux groupes de sociétés d’établir un suivi des délégations de pouvoirs afin d’éviter les nullités. En effet, en raison du développement de la taille de l’entreprise et de l’augmentation mécanique du nombre de délégataires, il peut rapidement s’avérer très complexe de suivre les délégations de pouvoirs. En effet, il peut y avoir des subdélégataires ou encore des codélégataires qui cessent leurs fonctions ou qui partent en vacances. Autant de problématiques qui plaident pour l’existence d’un vrai suivi afin que l’entreprise s’assure de bien gérer le risque des sanctions pénales dans l’entreprise.
Les effets de la délégation de pouvoir
La délégation, la codélégation ou encore la subdélégation de pouvoir ont des effets sur la responsabilité pénale du délégant, du délégataire et de la personne morale. Le transfert de la responsabilité pénale du délégant vers le délégataire* Responsabilité pénale du délégant : la responsabilité pénale du délégant est transférée à la personne du délégataire dans la limite des pouvoirs délégués. Elle exonère donc, pour ces pouvoirs, le délégant de sa responsabilité pénale. Naturellement, cette exonération ne vaut que pour les infractions non intentionnelles (par exemple, la négligence). Cependant, les obligations attachées à la personne même du chef d’entreprise et à ses fonctions ne sont pas susceptibles de transfert. Cette notion regroupe, selon la jurisprudence, les mesures ressortissant de son pouvoir propre de direction. Par exemple, en matière de délit d’entrave concernant ses devoirs envers le comité d’entreprise.
* Responsabilité pénale du délégataire : il devient responsable aux lieu et place du délégant. Ainsi, le délégataire devra prouver son absence de faute. Le cas échéant, il pourra s’exonérer en prouvant qu’il a lui-même subdélégué le pouvoir. Lorsqu’il y a plusieurs codélégataires, on recherchera quel est celui qui détient le pouvoir auquel la responsabilité pénale est attachée.
* Cumul de responsabilité pénale entre délégataire et délégant : le délégant et le délégataire peuvent voir leurs responsabilités pénales cumulativement engagées dans le cas où ils sont coauteurs ou complices dans l’hypothèse où chacun a pris part à la commission de la même infraction.
* Cumul de responsabilité pénale avec la personne morale : la délégation de pouvoir ne remet jamais en cause la possibilité d’engager la responsabilité pénale de la personne morale. Les infractions non intentionnelles commises par le délégataire, dès lors qu’il agit dans le cadre de ses fonctions et pour le compte de la société, engagent cette dernière. Il y a donc cumul de responsabilités. Il est également possible que sa responsabilité pénale soit engagée pour une infraction commise par le délégataire alors que ce dernier ne serait pas pénalement responsable.
Aucun transfert de responsabilité civile possible
Le délégant peut voir sa responsabilité engagée au titre d’une faute de gestion s’il a manqué à son obligation de vigilance en ne respectant pas les conditions de validité de la délégation de pouvoir ou en ne contrôlant pas l’action du délégataire.La responsabilité civile est personnelle à l’auteur d’un fait dommageable et ne peut donc pas être transférée du délégant au délégataire.
La responsabilité civile de la personne morale peut être engagée du fait d’un acte commis par un préposé ou un délégataire en vertu de l’article 1384, alinéa 5 du Code civil, sauf si le délégataire a excédé les limites de sa mission ou qu’il a été condamné pénalement pour une infraction intentionnelle.
La réconciliation de la jurisprudence avec les délégations de pouvoirs dans la SAS
Une certaine confusion a pu régner au sein des cours d’appel sur la question des délégations de pouvoirs dans les SAS. Certaines d’entre elles semblaient confondre la délégation générale de compétence - reçue par les directeurs généraux (DG) et les directeurs généraux délégués (DGD) dans les statuts en vertu de l’article L227-6 du Code de commerce - avec les délégations fonctionnelles de compétences, qui ne portent que sur des pouvoirs limitativement déterminés. La délégation de pouvoir fonctionnelle devait-elle être entendue comme conférant à son détenteur un pouvoir habituel d’engager la société au regard de l’article R123-54 du Code de commerce, et donc être publiée au RCS ?La Cour de cassation a balayé tous les doutes dans deux arrêts de Chambre Mixte en date du 19 novembre 2010.
Elle a reconnu l’efficacité de la délégation de pouvoir au sein d’une SAS qui avait été consentie à un « responsable des ressources humaines » en énonçant que la possibilité offerte par l’article L227-6 du Code de commerce mentionné plus haut « n’exclut pas la possibilité pour [les] représentants légaux de déléguer le pouvoir d'effectuer des actes déterminés tel que celui d'engager ou de licencier les salariés de l'entreprise ». Elle a également décidé qu’il n’est pas nécessaire d’obtenir une autorisation statutaire pour qu’une personne reçoive une délégation du pouvoir d’effectuer des actes déterminés tels qu’embaucher ou licencier. Elle rajoute qu’en soutenant, devant la justice et par son représentant légal la validité du licenciement prononcé par ses préposés, la société ratifie cet acte et le défaut de pouvoir du préposé ne peut plus être justifié.
Dans un récent arrêt du 26 janvier 2011, la Chambre Sociale en a tiré les conséquences et a repris quasiment à la lettre le dispositif de la Chambre Mixte du 19 novembre 2010 : la règle selon laquelle la nomination des DG et DGD dans la SAS est soumise à publicité n’influe en rien sur leur capacité à déléguer leur pouvoir de licencier, délégation qui n’a pas à être écrite et qui peut être tacite, résultant alors des fonctions même du salarié conduisant la procédure de licenciement.
En conclusion : S’il est vrai que le recours à la délégation de pouvoir peut apparaître comme banal dans la gestion d’une entreprise, la délégation de pouvoir n’en demeure pas moins un véritable instrument juridique que le chef d’entreprise doit maîtriser afin d’en contrôler les effets sur ses responsabilités.
- Fiche point de vue : mai 2011 -
© Mascré Heguy Associés - mai 2011