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LES CONVENTIONS INTRA-GROUPE ET LA SAS


Les conventions intra-groupe sont traditionnellement conclues afin de bénéficier des synergies des différentes entités du groupe. En application du Code de commerce, certaines conventions intra-groupe sont qualifiées de conventions réglementées, encadrées, et soumises à une procédure d’information et de contrôle. D’autres conventions intra-groupe sont qualifiées de conventions "libres" ou "non réglementées" car elles ne sont pas réglementées par le Code de commerce. Cette absence de contrôle résulte soit de dispositions expresses du Code de commerce (exclusion de la procédure de contrôle aux conventions courantes conclues à des conditions normales) soit de l’absence d’encadrement de la convention concernée par le Code de commerce (le Législateur n’ayant pas souhaité réglementer la convention en cause). Cette distinction, connue de longue date, est remise en cause par suite de la refonte du Code civil en application de l’ordonnance du 10 février 2016. Depuis le 1er octobre 2016, et en application de l’article 1161 du Code civil, un même représentant ne peut représenter les deux parties à un même contrat, ce à peine de nullité.

I. LES CONVENTIONS INTRA-GROUPE ET LA REFORME APPLICABLE DEPUIS LE 1ER OCTOBRE 2016

Les conventions intra-groupe impliquent par hypothèse des intérêts liés. Il est donc courant de conclure des contrats entre sociétés apparentées (société mère/fille ; sociétés sœurs ; etc.).

Par suite du cumul des mandats sociaux (le cumul des mandats sociaux n’est pas réglementé dans les SAS), il est fréquent de constater également la double représentation des deux parties au contrat.

La particularité des relations intra-groupe fait que :
- une même personne, par suite d’un cumul de mandats, peut être le représentant légal des deux sociétés parties à un même contrat, auquel cas la même personne signataire peut représenter les deux parties au contrat,
- une même personne, à titre personnel, peut signer un contrat avec la société dont il est le représentant légal (contrat dit « avec soi-même »).
Compte tenu de ces intérêts liés, le Code de commerce impose un certain formalisme préalable ou postérieur à la conclusion du contrat afin d’autoriser et/ou ratifier ces conventions qui sont qualifiées de « conventions réglementées ».

I.1 La gestion des conventions intra-groupe règlementées dans les SAS

Les textes qui régissent les conventions réglementées dans les sociétés par actions simplifiées sont les articles L.227-10 et L.227-11 du Code de commerce.

Les conventions réglementées sont les conventions intervenues, directement ou par personne interposée, entre :
- la société et son président,
- la société et l'un de ses dirigeants,
- la société et l'un de ses actionnaires disposant d'une fraction des droits de vote supérieure à 10 % ou, s'il s'agit d'une société actionnaire, la société la contrôlant au sens de l'article L.233-3 du Code de commerce.

Sauf disposition statutaire contraire, les conventions réglementées dans les SAS ne sont soumises qu’à un simple processus de ratification qui intervient a posteriori (il est fait référence aux « conventions intervenues », le contrôle intervient donc après conclusion de la convention), ce par la collectivité des associés (art. L.227-10 al.2 C. com.).

La mise en œuvre de la procédure spéciale des conventions réglementées (rapport spécial du Président ou du Commissaire aux comptes ; ratification de la convention par décision collective des associés) permet de révéler l'existence de la convention en cause (principe de transparence) et d’obtenir un accord (principe d’accord exprès), la ratification a posteriori étant la seule hypothèse possible de manifestation d'accord prévue par le législateur dans les SAS).

I.2 La gestion des conventions intra-groupe non réglementées dans les SAS

Les conventions portant sur des "opérations courantes" et conclues à des "conditions normales" ne sont pas réglementées, et ne sont donc pas soumises au processus d’information et de ratification propre aux SAS (art. L.227-11 C. com.).

Il résulte de ce qui précède que de nombreuses hypothèses de conventions intra-groupe n'entrent pas dans le cadre des articles L.227-10 et L.227-11 du Code de commerce applicables aux SAS propres aux conventions réglementées :

- soit par ce que les textes relatifs aux conventions règlementées excluent formellement leur application dans certains cas (hypothèse des conventions courantes conclues à des conditions normales ; cf. article L.227-11 du Code de commerce).

- soit parce que la convention en cause n'entre pas dans les cas qui nécessitent la mise en œuvre de la procédure des conventions règlementées (contrats entre sociétés sœurs constituées sous forme de SASU ; contrats entre une société mère et une SASU ; contrats entre SAS ayant des dirigeants communs ; etc.). Faute pour le Législateur d’avoir statué sur ces cas, ces hypothèses ne sont pas encadrées par le Code de commerce et ne sont donc pas soumises à un quelconque formalisme.

I.3 L’impact de l’article 1161 du Code civil et le nouveau principe général d’interdiction de la double représentation

L'article 1161 nouveau du Code civil, applicable depuis le 1er octobre 2016, énonce désormais que :
"Un représentant ne peut agir pour le compte des deux parties au contrat ni contracter pour son propre compte avec le représenté.
En ces cas, l'acte accompli est nul à moins que la loi ne l'autorise ou que le représenté ne l'ait autorisé ou ratifié.
"

L'article 1161 du Code civil énonce un principe d'interdiction ("Un représentant ne peut agir…"), et ce à peine de nullité ("…l'acte accompli est nul…").

L'article 1161 du Code civil ne prévoit que deux exceptions.

La première exception porte sur l'existence d'une disposition légale contraire. La nullité n'est pas encourue si la loi autorise la double représentation ("…à moins que la loi ne l'autorise…").

La deuxième exception porte sur l'accord exprès du représenté. La nullité n’est pas encourue en cas d’accord exprès de la société concernée, que cet accord intervienne en amont (autorisation préalable : "… à moins que… le représenté ne l'ait autorisé…") ou en aval (ratification a posteriori : "… à moins que… le représenté ne l'ait… ratifié").

Se pose dès lors la question de l’application de l’article 1161 du Code civil aux conventions intra-groupe.

II. LES INCERTITUDES GENEREES PAR LA MISE EN ŒUVRE DE L’ARTICLE 1161 DU CODE CIVIL

Lorsque la convention intra-groupe est une convention réglementée, le respect de la procédure de contrôle prévue par le Code de commerce permet-il de s’affranchir de l’obligation de requérir l’accord exprès à la double représentation prévu par l’article 1161 du Code civil ?

Lorsque la convention intra-groupe est une convention libre, non encadrée par le Code de commerce, les dispositions protectrices de l’article 1161 du Code civil s’appliquent-elles à ce type de convention dans la mesure où le Code de commerce le dispense, de son côté, de tout contrôle ?

II.1 Les incertitudes actuelles sur l’application de l’article 1161 du Code civil aux conventions règlementées

Le Code de commerce encadre de longue date les relations intra-groupe au moyen de la distinction entre les conventions réglementées, qui sont assujetties à contrôle, et les conventions libres qui ne sont pas assujetties à contrôle.

En d’autres termes, le Code de commerce autorise la conclusion de ces conventions en les encadrant.

La question posée est de déterminer si l’existence de dispositions spéciales du Code de commerce relatives aux conventions règlementées caractérise l'autorisation légale dérogatoire requise par l'article 1161 du Code civil ("…à moins que la loi ne l'autorise…"), qui autorise ces conventions en les encadrant, et qui dérogerait par suite au principe général d’interdiction énoncé par le Code civil sanctionné par la nullité.

Faute de précision dans l'ordonnance sur l’application ou non de l’article 1161 du Code civil aux sociétés commerciales, il est délicat à ce jour de se prononcer avec certitude car il n'y a pas eu de débat parlementaire (adoption du texte par ordonnance) et le rapport au Président de la République ne comporte pas de disposition explicite sur ce point.

La doctrine a réagi, face à cette problématique en relevant que le Code de commerce est un droit dérogatoire.

En application du principe de spécialité (maxime "specialia generalibus derogant"), les dispositions spéciales du Code de commerce dérogent aux dispositions générales du Code civil.

Le législateur a par ailleurs instauré une règle générale, pour tous les contrats à compter du 1er octobre 2016. Cette nouvelle règle générale, établie postérieurement, ne peut porter atteinte aux dispositions spéciales qui lui sont antérieures (maxime "generalia specialibus non derogant").

Les règles spéciales priment donc les règles générales, que les dispositions générales soient antérieures ou postérieures aux règles spéciales.

Ainsi il pourrait être opposé que les règles spéciales propres au Code de commerce régissent les conventions réglementées (à savoir l'article L.227-10, applicable aux SAS) et constituent par suite l'autorisation légale dérogatoire requise par l'article 1161 du Code civil.

Il en résulte que pour les conventions effectivement règlementées, le respect du formalisme légal spécial, propre au droit des sociétés, devrait théoriquement permettre d’éluder l’application de l’article 1161 du Code civil.

Sans certitude toutefois, faute de disposition expresse sur l’application des nouveaux textes de la réforme aux sociétés commerciales.

II.2 Les incertitudes actuelles sur l’application de l’article 1161 du Code civil aux conventions non réglementées

Une autre problématique résulte de l’absence de contrôle, propre au Code de commerce, relatif à certaines conventions, par suite de l’exclusion formelle par le Législateur de la procédure de contrôle (conventions courantes conclues à des conditions normales ; cf. art. L.227-11 C.com.) ou de l’absence d’application des textes à la convention en cause (cf. art. L.227-10 al.1 C.com.).

Ces conventions "libres " ou non réglementées car non encadrées par les textes du Code de commerce, deviennent-elles de plein droit régies par les textes généraux du Code civil, faute d'autorisation légale dérogatoire requise par l'article 1161 du Code civil ("…à moins que la loi ne l'autorise…") ? Le Code de commerce n’autorise pas expressément ces conventions. Simplement le Code de commerce ne dit rien sur ces conventions.

Faute de dispositions spéciales du Code de commerce leur étant applicables (exclusion expresse ; cas non prévus), ces conventions non règlementées sont qualifiées de conventions "libres". Aucune procédure spéciale ne doit dès lors être mise en œuvre concernant ces conventions au regard du Code de commerce. Le fait d’être une convention "libre" ou "non réglementée", non encadrée en application d’un texte spécial du Code de commerce, caractérise-t-il également l'autorisation légale dérogatoire, requise par l'article 1161 du Code civil, qui dispenserait ainsi le formalisme d’autorisation préalable (ou de ratification) de la double représentation ?

Une certaine partie de la doctrine considère qu’en l’absence de texte spécial applicable, ces conventions dites "libres", car non régies par des textes spéciaux du Code de commerce redeviendraient gouvernées par les dispositions du droit commun des contrats et seraient notamment régies par les dispositions de l’article 1161 du Code civil requérant un accord exprès à la double représentation.

Ce qui est une situation qui n'a pas été souhaitée par le législateur, puisque les conventions normales, ou les hypothèses non retenues dans les textes applicables aux sociétés, ont été reconnues par le Législateur comme des conventions pouvant être valablement mises en oeuvre sans procédure quelconque.

Une autre partie de la doctrine considère, par contre, que les textes spéciaux du Code de commerce régissant les conventions réglementées constituent le cadre légal au sens de l'article 1161 du Code civil, dans sa globalité. Ces textes spéciaux propres au Code de commerce s’appliqueraient alors dans leur ensemble, dans leur principe et leurs exceptions, le silence du législateur dans certaines hypothèses de conventions non réglementées, libres car non encadrées, établissant la volonté du législateur de ne pas réglementer de telles conventions et donc de rétablir l’entier principe de liberté contractuelle pour de telles conventions. Auquel cas, les dispositions de l’article 1161 du Code civil ne devraient pas pouvoir s’appliquer.

Seule la jurisprudence tranchera cette question… mais pas avant plusieurs années.

 

En conclusion : Face à l’ensemble de ces incertitudes, il est nécessaire de prendre un certain nombre de dispositions notamment dans le cadre des organes d’administration de la SAS aux fins de protéger le dirigeant signataire et de sécuriser la convention. Compte tenu de la liberté statutaire propre aux SAS une réflexion au cas par cas est nécessaire.

- Fiche point de vue : novembre 2016 -

© Mascré Heguy Associés - novembre 2016

 

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