CONTRAT INFORMATIQUE : LE RENFORCEMENT DE L'OBLIGATION D'INFORMATION
A propos du jugement du TGI de Niort du 14 décembre 2009, MAIF c/ IBM France, BNP Paribas Factor.
Dans un jugement du 14 décembre 2009, le Tribunal de Grande Instance de Niort a annulé le contrat d’intégration conclu entre les parties pour vice du consentement (dol) et condamné le prestataire de services informatiques à indemniser le préjudice subi à hauteur de 9 millions d’euros, auxquels s’ajoutent le remboursement des sommes déjà versées par le client au titre dudit contrat. En l’espèce, il a été jugé que le prestataire a manqué à son obligation de conseil et a violé les règles de l’art. Bien que le jugement ait été frappé d’appel, le Tribunal a ordonné l’exécution provisoire. Cette décision appelle par conséquent les SSII à la prudence et à la mesure lors des réponses à appels d’offres.
L'obligation d'information précontractuelle à la charge du prestataire informatique
En l’espèce, le maître d’ouvrage, une société d’assurance, a souhaité refondre son système informatique de gestion de la relation clients (CRM) et a procédé à un appel d’offres à l’issue duquel un prestataire de services informatiques a été sélectionné.
Obligation de résultat, appel d'offres et forfait
Suite à une étude réalisée en vue de poursuivre l’analyse des besoins et de l’environnement de l’assureur, un contrat d’intégration a été conclu. Ainsi que soulignent les juges du fond, le maître d’œuvre s’est engagé à fournir, sur la base d’une obligation de résultat, une solution intégrée conforme au périmètre fonctionnel et technique convenu entre les parties, en respectant un calendrier impératif et un prix forfaitaire ferme et définitif stipulés. A cet égard, il convient de souligner que ces aspects étaient déterminants de la volonté du maître d’ouvrage, qui aurait raisonnablement pu contracter avec un autre prestataire au terme de l’appel d’offres.
Nonobstant, des délais de retard se sont accumulés et des avenants de majoration de prix ont été établis, le prestataire finissant par reconnaitre l’infaisabilité technique du projet informatique aux conditions prévues initialement.
Nullité du contrat pour dol
Le client a décidé de rompre le contrat le liant au maître d’œuvre en développant son argumentation en premier chef, sur la nullité du contrat pour dol, et subsidiairement, sur l’inexécution lourdement fautive du contrat par le prestataire, tenant en échec la clause limitative de responsabilité.
Le Tribunal a accueilli cette demande, et retenu que le prestataire avait délibérément cherché à dissimuler des informations pour obtenir le marché, puis lors de l’établissement des protocoles d’accord postérieurs.
Sanction de la violation de l'obligation d'information : la réticence dolosive du prestataire informatique et le vice du consentement du client
Obligation d'information lors de la conclusion du contrat
Les juges du fond ont prononcé la nullité du contrat pour vice du consentement, aux termes de l’article 1116 du Code Civil : « En dépit des assurances contenues dans la réponse à l’appel d’offres concernant son expérience et sa compétence, au delà d’un contrat d’étude qu’elle avait mené, au moyen de 243 jours/homme et pour le prix de 212 000 € HT, à fin de parfaire l’analyse des besoins de la MAIF et de la définition de la solution cible, et à la suite d’un préambule rappelant le caractère déterminant de ces assurances pour le maître de l’ouvrage (préambule, article 6 : l’intégrateur a expressément affirmé "disposer de l’expérience, de l’organisation, des moyens matériel et humains, des compétences nécessaires pour mener à bien la réalisation de l’intégration, avoir disposé de l’ensemble des informations utiles pour prendre la mesure de ses engagements"), IBM a présenté à la MAIF un projet affecté d’une "lacune majeure" pour, en violation "aux normes et aux règles de l’art", contenir un planning et un prix forfaitaire arrêtés avant même le stade de la prise en compte de la conception détaillée, prenant ce de fait "un risque fort pour répondre à la demande de la MAIF”, c’est à dire obtenir le marché.
En gardant le silence sur le risque "fort", "élevé", encouru quant à la satisfaction de conditions définies au contrat comme déterminantes (forfait, planning), et généré de son fait par la violation des normes et des règles de l’art, - risque qu’en sa qualité de professionnel hautement qualifié il ne pouvait ignorer, et dont, au demeurant il n’a jamais prétendu l’avoir méconnu, se contentant de faire valoir que la MAIF aurait par les protocoles ultérieurs renoncé au planning et au forfait - le professionnel hautement qualité qu’est IBM, et dont au surcroît la qualification était expressément intégrée dans le champ contractuel, a obtenu de la MAIF une adhésion viciée quant aux dits éléments contractuellement définis comme déterminants du consentement de celle-ci, et a ainsi caractérisé une réticence dolosive, qui affecte la validité du contrat ».
Ainsi, le Tribunal retient la réticence dolosive du prestataire. Rappelons utilement que le dol se caractérise par des manœuvres, un mensonge ou encore un silence ayant délibérément provoqué une erreur déterminante du consentement d’un contractant. En l’espèce, le silence gardé porte très clairement sur des éléments qui, s’ils avaient été connus du maître d’ouvrage, l’aurait empêché de contracter. Le prestataire n’aurait pas dû s’engager fermement sur des éléments qu’il savait évolutifs.
Au-delà du seul principe de loyauté et du devoir de contracter de bonne foi, les juges relevent qu'il pèse sur le prestataire une obligation précontractuelle d’information.
Obligation d'information au cours de l'exécution du contrat
Par ailleurs, les juges relevent que la réticence dolosive a perduré : « Le manquement par IBM à son obligation de communiquer une planification générale, qui a motivé l’envoi d’une mise en demeure le 20 avril 2005 par la MAIF, en ce qu’il empêchait celle-ci de prendre la mesure de la dérive consommée, participe des manœuvres dolosives ayant maintenu la mutuelle dans son erreur initiale.
La conclusion du protocole du 30 septembre 2005 a perpétué ce dol, car si les parties (page 59 de l’expertise) convenaient d’une remise en cause du planning et du budget, IBM maintenait son engagement sur le périmètre initial du projet et sur le caractère forfaitaire de la prestation- engagement dont elle devait pourtant peu après, sans qu’intervienne d’élément nouveau, convenir qu’il ne pouvait être respecté, le Comité de direction (Codir) étant conduit à constater le 14 novembre 2005 qu’il n’était “pas possible de continuer le projet selon le scénario actuel” ».
Les juridictions françaises ne sont pas les seules soumises à ce type de contentieux. Outre-manche c’est le prestataire informatique HP qui a été sanctionné par la justice pour des faits similaires [BSkyb Ltd v HP Enterprise Services UK Ltd [2010] EWHC 86 (TCC) (26 January 2010)]. En tout état de cause, la tendance jurisprudentielle européenne est au renforcement de l’obligation d’information à la charge du prestataire informatique.
En pratique, il est fort recommandé de gérer la rédaction des clauses sensibles des contrats informatiques, notamment : les clauses limitatives de responsabilité, les clauses pénales, les clauses contenues dans l’engagement de niveau de services, etc.
En conclusion : Il ressort qu'à coté de l'obligation précontractuelle d'information sanctionnée par ce jugement sur le fondement de la réticence dolosive, coexiste une obligation d'information contractuelle postérieure à la conclusion du contrat. Les propositions commerciales des prestataires informatiques se doivent d’être compétitives sur le marché, sans pour autant se soustraire aux impératifs juridiques. A ce titre, il apparait nécessaire de laisser au juriste le soin de traduire juridiquement les aspects techniques de l’activité des SSII.
- Fiche point de vue : janvier 2010 -
© Mascré Heguy Associés - janvier 2010
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