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Le Directeur Général et la SAS : le rôle prééminent de la délégation de pouvoir
Instaurée par la loi du 3 janvier 1994, la Société par Actions Simplifiée (SAS) a été créée pour pallier la rigidité et le formalisme du droit des sociétés issu de la loi du 24 juillet 1966. Il s'agissait principalement de mettre en place un instrument juridique souple pour permettre aux entreprises françaises de coopérer entre elles et avec des partenaires étrangers. Depuis 1994, le régime juridique de la SAS a quelque peu été modifié. A l'origine, seules les personnes morales, avec un capital social au moins égal à 225.000 Euros, pouvaient avoir la qualité d'associés. Désormais, la SAS est ouverte à toutes sociétés ou groupements ainsi qu'aux personnes physiques.
S'agissant de la direction et de la gestion de la société, une grande liberté est laissée aux associés dans le cadre de la rédaction des statuts.
La seule limite concerne l'obligation de nommer un Président qui représente la société à l'égard des tiers.
C'est sur ce dernier point que la Cour de Cassation est intervenue, par une décision du 2 juillet 2002, pour faire une lecture stricte des dispositions relatives à la représentation de la SAS à l'égard des tiers.
* La SAS est représentée, à l'égard des tiers, par son seul Président
Aux termes de l'article L.227-6 alinéa 1 du Code de Commerce, la société par actions simplifiée est "représentée à l'égard des tiers par un président".
La question posée est de savoir si d'autres dirigeants, tels que le Directeur Général, peuvent, seul ou conjointement avec le Président, représenter la société à l'égard des tiers.
En effet, le doute a été entretenu, notamment par un avis du 24 octobre 2000 rendu par le Comité de Coordination du Registre du Commerce et des Sociétés.
Le Comité de Coordination indiquait que lorsque les associés d'une SAS ont désigné un Directeur Général investi des mêmes pouvoirs que le Président, celui-ci doit être déclaré au RCS, non pas en cette qualité mais en tant qu'associé ou tiers ayant "le pouvoir de diriger, de gérer ou d'engager à titre habituel la société" en application de l'article 15-A 10° du décret du 30 mai 1984 relatif au Registre du Commerce et des Sociétés. Le titre de Directeur Général peut éventuellement être mentionné en observation.
La Cour de Cassation a tranché la controverse en faisant une interprétation stricte de l'article L.227-6 alinéa 1 et en précisant, dans un arrêt du 2 juillet 2002, qu"'il résulte des dispositions de l'article L.227-6 du Code de commerce que la société par actions simplifiée est représentée, à l'égard des tiers par son seul président".
En l'espèce, il s'agissait de se prononcer sur la recevabilité de l'action en revendication de marchandises exercée par le Directeur Général d'une SAS.
La Cour a déclaré cette action irrecevable, peu important que l'Assemblée Générale des associés ait accordé les pouvoirs les plus étendus au Directeur Général et l'ait autorisé à représenter la société dans ses rapports avec les tiers.
A la lecture de cet arrêt, certains commentateurs ont considéré que l'interprétation stricte de la Cour de Cassation excluait tout autre personne du pouvoir d'engager une SAS à l'égard des tiers.
* Le rôle résiduel du Directeur Général
Aucune disposition légale ou réglementaire ne détermine l'étendue des pouvoirs des Directeurs Généraux des SAS.
Les associés disposent d'une grande liberté statutaire pour déterminer leurs pouvoirs.
Toutefois, cette liberté ne concerne que les rapports internes.
Sur ce point, la SAS présente un inconvénient par rapport à la Société Anonyme dans laquelle, depuis la loi NRE du 15 mai 2001, les Directeurs Généraux Délégués disposent à l'égard des tiers des mêmes pouvoirs que le Directeur Général.
Doit-on pour autant déduire de l'arrêt du 2 juillet 2002 qu'aucune délégation de pouvoir ne peut être consentie ?
* L'interprétation de l'arrêt du 2 juillet 2002 par le Garde des Sceaux
Face aux interrogations des professionnels, pour qui le principe affirmé par l'arrêt du 2 juillet 2002 risquait de remettre quelque peu en cause le caractère attractif du régime juridique de la SAS, le Ministre de la Justice est intervenu pour donner une interprétation de l'arrêt de la Cour de Cassation.
Dans une réponse ministérielle du 19 décembre 2002, le Ministre considère que la lecture de l'arrêt n'autorise pas à déduire qu'il n'existe plus de possibilité de délégation statutaire ou conventionnelle dans la SAS.
Cette interprétation a été réitérée, aux termes d'une circulaire du 26 décembre 2002 de la Direction des Affaires Civiles et du Sceau, à destination notamment des Greffiers des Tribunaux de Commerce et des Tribunaux de Grande Instance statuant commercialement.
Aux termes de cette circulaire, le rappel du principe de représentation légale de la SAS par le Président, tel que réaffirmé par la Cour de Cassation dans son arrêt du 2 juillet 2002, laisse intacte la possibilité à une SAS d'octroyer des délégations de pouvoir aux fins de l'engager à l'égard des tiers.
La délégation de pouvoirs, énoncée dans les statuts, doit être complétée par une déclaration au RCS afin que les mentions correspondantes soient portées sur l'Extrait K-bis de la SAS.
En effet, l'article 15-A 10°(a) du décret du 30 mai 1984 prévoit la possibilité de déclarer des règles spécifiques de capacité.
Ainsi, les dirigeants, associés ou tiers, investis des pouvoirs de diriger, de gérer ou d'engager à titre habituel la société, aux termes de délégations de pouvoirs, notamment statutaires, doivent être déclarés au RCS, aux fins d'opposabilité.
Les délégations de pouvoirs doivent satisfaire par ailleurs aux règles de droit commun des délégations, et notamment ne pas éluder les pouvoirs et prérogatives du Président.
En conclusion : L'arrêt de la chambre commerciale de la Cour de Cassation du 2 juillet 2002 revêt une grande importance pratique. L'interprétation de cet arrêt, telle que donnée par le Ministère de la Justice, et les solutions apportées rappellent à cette occasion le rôle prépondérant de la liberté contractuelle dans une telle structure. En conséquence, la rédaction des délégations de pouvoir doit faire l'objet d'une attention toute particulière du fait de son rôle prépondérant au sein de la SAS.
- Fiche point de vue : avril 2003 -
© Mascré Heguy Associés - avril 2003